L’irrésistible sécularisation belge

Posted on 16 septembre 2010 par

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En avril dernier, André-Joseph Leonard devenait le nouveau primat de l’Eglise belge. Conservateur, il incarnait alors le recentrage doctrinal voulu par Benoît XVI. Mais Léonard est-il vraiment le réac que l’on croit ? Peut-il changer l’image de l’Eglise ? Enquête de Chloé Andries, parue dans l’hebdomadaire La Vie, le 1er avril dernier.

La presse belge le définit comme l’homme de la « rupture », parfois même comme celui de la « reconquête ». André-Joseph Léonard, 69 ans, vient de prendre les rênes de l’Église de Belgique, en tant que nouvel arche­vêque de Malines-Bruxelles, après 30 ans placés sous le signe d’une ligne libérale incarnée par Mgr Danneels.

Homme de débat au caractère im­pétueux, volontiers provocateur, le nouveau primat incarne clairement la ligne conservatrice de l’Église, imprimée par Benoît XVI. Et tranche avec le style plus effacé et conciliant de son prédécesseur. Dans une Belgique à la sécularisation galopante, cette nomination sonne en tout cas comme un changement d’orien­tation de l’Église, qui tente désormais de dynamiser ses troupes en optant pour un recentrage doctrinal.

De quelle Église hérite le nouvel archevêque ?

Dans une Europe en sécularisation constante et croissante, où l’Église connaît une crise des vocations sans précédent, la Belgique ne fait pas exception à la règle. En 10 ans, elle a perdu un prêtre sur quatre. En 2009, pour 50 départs, l’Église n’a ordonné que 11 nouveaux prêtres. Dans certaines régions, comme le Tournaisis, il ne reste plus qu’un prêtre pour 18 paroisses.

Parallèlement à cette érosion, la part des catholiques diminue également. 60 % des Belges se déclarent catholiques selon un sondage publié par Le Soir, en janvier, contre 68 % en 1990. Quant au nombre de pratiquants réguliers (qui vont à la messe une fois par semaine), il descend à 12 %, selon ce même sondage, ce qui reste néanmoins supérieur aux 6 à 7 % de l’Hexagone.

Mais la particularité, c’est que l’érosion du catholicisme est d’autant plus sensible dans un pays dont la religion catholique fut le fondement unitaire premier. Rappelons que la création de l’État belge est directement associée à la prise d’indépendance des catholiques à l’égard du protestant Guillaume d’Orange. Bien sûr, la Constitution du pays ne se réfère pas à la religion, mais l’Église a longtemps influencé la société.

L’Église a-t-elle encore un poids en Belgique ?

« L’Église disposait jadis de relais forts, à travers tout un réseau d’or­ganisations catholiques : hôpitaux, écoles, groupes de jeunes, mutuelles », explique Vincent de Coorebyter, directeur du Centre de recherche et d’information sociopolitiques de Belgique. « Ces organisations catho­liques influentes conservent des spécificités sociologiques mais ont perdu leur caractère confessionnel, car la sécularisation interne y est grandissante. C’est un défi pour l’Église et Mgr Léonard s’exprime dans des ­termes de reconquête, tout en sachant que sa capacité d’influence réelle est fortement en baisse. »

Preuve sym­bolique de la perte d’influence de l’Église, l’évolution actuelle de l’université catholique de Louvain, dont la Conférence épiscopale a toujours été le pouvoir organisateur. Dans le cadre d’une prochaine fusion des universités, c’est désormais un Conseil « université-communauté chrétienne » qui sera institué dans la future académie, l’archevêque ­perdant ainsi son statut. Mais pour Bruno Delvaux, recteur de l’UCL, « cela ne changera pas grand-chose. Depuis 20 ans, le rôle de l’archevêque est déjà symbolique et consiste à signer et à approuver les propositions du conseil d’administration. Nous allons passer à une relation de dialogue intelligent et restons une université portée par les valeurs humanistes dans la lignée du catholicisme social. »

La sécularisation interne aux uni­versités n’a donc pas attendu cette réforme symbolique pour s’engager. En 2002, l’UCL s’était même prononcée pour le clonage thérapeutique et pour la recherche sur les cellules souches de l’embryon humain. Mgr Danneels avait laissé faire. Mgr Léonard, lui, avait à l’époque commandé un audit sur les pratiques bioéthiques de l’UCL, afin de les faire connaître au Vatican. Devenu archevêque, aurait-il avalisé les positions de la faculté, risquant de se mettre à dos une partie des membres de l’UCL ? « Cette sécu­larisation interne est un défi pour l’Église, qui ne peut pas adopter une attitude hypocrite, mais ne peut pas non plus être péremptoire », estime le porte-parole des évêques de Belgique, Éric de Beukelaer.

Comme dans d’autres pays européens, l’Église a perdu beaucoup de son influence auprès des catholiques eux-mêmes. En 2010, un catholique belge sur deux affirme ne jamais suivre les recommandations de Rome sur les questions de contraception et de morale sexuelle, et 73 % d’entre eux sont favorables au mariage des prêtres.

André-Joseph Léonard est-il conservateur ?

« Ce n’est pas parce que le menu est servi par un autre que le menu a changé », lançait Mgr Danneels, lors de la nomination de son successeur à la tête de l’archevêché de Malines-Bruxelles. Une boutade qui faisait clairement référence aux différences de caractère des deux hommes, l’un se montrant discret, partisan du compromis, l’autre plus fougueux, connu pour ses sorties médiatiques fracassantes. Mgr Léonard avait notamment déclaré, sur le préservatif, que son utilisation revenait à « jouer à la roulette russe », voyant dans l’épidémie du sida une forme de « justice immanente ». Depuis sa nomination, il a récidivé, sur l’homosexualité, cette fois, la comparant à l’anorexie.

Mais sur le fond, le menu a-t-il vraiment changé ? Pour Myriam Tonus, théo­logienne, « il est étonnant de voir aujourd’hui Mgr Danneels paré de toutes les vertus. Le discours des deux hommes est à bien des égards le même. » Reste que les déclarations de Mgr Danneels, sur la forme, sont moins tranchées que celles de son successeur. Il reconnaît ainsi l’usage du préservatif comme un moindre mal et, sur l’avortement, qu’il condamne, il ajoute que l’Église doit s’incliner devant le législateur. À l’inverse, « Mgr Léonard a le mérite d’avoir une identité claire », explique Myriam Tonus.

Évêque de Namur, a-t-il réveillé ou divisé l’Église ?

« Lorsqu’il est arrivé, en quelques semaines, ce fut le séisme », se rappelle Myriam Tonus, qui fréquentait à l’époque assidûment le Sénevé, centre de formation théologique progressiste de renom, fermé par Mgr Léonard. Car, dès 1991, le nouvel évêque a une priorité : créer des vocations en remaniant la formation proposée, qu’il juge trop progressiste. L’homme enjoint donc une partie des formateurs et théologiens à modifier leurs enseignements. Après un bras de fer de quelques semaines, séminaire et Sénevé sont fermés, les séminaristes, envoyés aux quatre coins de Belgique, le temps d’une ­re­­fonte de la formation.

Deux ans plus tard, le séminaire est rouvert, un nouveau centre de formation théologique voit le jour en 2001. Les équipes sont modifiées, l’enseignement est plus traditionnel. « Aujour­d’hui, le séminaire accueille davantage de vocations que dans d’autres diocèses. Nous avons cinq à six ordinations par an. » Par un recentrage doctrinal, Mgr Léonard aurait-il réveillé les vocations ?

Cette hausse des chiffres semble plutôt masquer un apport extérieur. « Un tiers des nouvelles vocations émane du Renouveau charismatique et la majorité des séminaristes ne sont pas du diocèse », explique Joël Rochette. Car Mgr Léonard a ouvert largement les portes aux communautés charismatiques et accueilli un deuxième séminaire à but missionnaire, animé par le chemin néocatéchuménal. Dans les rangs de l’Église, certains lui reprochent de vouloir ordonner des prêtres à tout prix, quitte à accepter de nombreux candidats refusés ailleurs. Patrick Balland est le premier homme marié à avoir été ordonné dans l’Église francophone. Par Mgr Léonard. « Il est très proche de ses prêtres et m’a accueilli avec bonté. Il a le souci de rester fidèle à la foi catholique, sans se montrer plus catholique que le pape. » En tout état de cause, dans le clergé namurois, on trouve des pro et des anti-Léonard. Pour l’ancien directeur du Sénevé, Philippe Goffinet, « cette évolution a créé un clergé éclaté, avec une grande division entre les nouveaux prêtres, rarement progressistes, et les plus anciens. Le vivre ensemble devient de plus en plus difficile. »

Mais l’homme n’estime pas que la part progressiste des catholiques a été ré­­duite au silence. « De nombreux groupes de formation pour laïcs ont vu le jour, en parallèle, et Mgr Léonard les laisse subsister. » Myriam Tonus de conclure : « Mgr Léonard a plutôt forcé les catholiques à se positionner, s’impliquer, et a renforcé des divisions qui existaient déjà. »

Et maintenant ?

Que va donc faire Mgr Léonard dans ses nouvelles fonctions ? Parmi ses priorités, on retrouve sans surprise le souci de susciter des vocations, par la formation des futurs ­prêtres. « En rassemblant les forces existantes », esquisse-t-il. On n’en saura pas plus. Parmi les autres champs de bataille, l’homme veut une Église « priante et adorante » et maintenir une « préoccupation sociale continue ».

En devenant chef de l’Église belge, l’homme devra également se montrer chef de file, mais aussi coordinateur, pasteur et relais vis-à-vis des autorités publiques. Il devra rassembler les différents courants et éviter les divisions créées à Namur. Quoi qu’il en soit, la nouvelle mission du prélat ne devrait pas durer plus de 5 ans, tout évêque devant démissionner à 75 ans. D’ici là, comme ses pré­décesseurs, il devrait être nommé cardinal, devenant ainsi l’un des électeurs potentiels du prochain pape.

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